jeudi 20 janvier 2011

Alexis O'Hara : "Ellipsis" ( & Records, 2010)


Alexis O'Hara fait partie de cette catégorie de femmes qui sont capable de laisser une impression profonde dès la première rencontre. J'ai eu la chance de la côtoyer pour un projet musical au dernier Festival de Musique Actuelle de Victoriaville et ces quelques moments, de répétitions, d'échanges, n'ont fait que confirmer l'impression que j'avais eu d'elle au départ.

J'avais déjà vu Alexis jouer des électroniques dans le cadre du festival Voix d'Amériques en compagnie de Bernard Falaise et Michel F. Côté. J'avais trouvé son apport très intéressant et me suis mis à penser qu'il serait intéressant de collaborer avec elle. Cette dernière est cependant nettement plus connue comme artiste spoken word et par ses installations sonores. Que ce soit par son igloo d'haut-parleurs ou ses compétitions de slam. Voilà qu'elle sort un premier album complet depuis 2002 sur l'étiquette & Records, un label de musique expérimentale dirigé par Michel F. Côté. "Ellipsis" est un disque très pop, avec des chansons accrocheuses soutenues par une fine musique recherchée.

Alexis est superbement accompagnée tout au long de son disque; ses collaborateurs sont variés et viennent chacun ajouter une particularité qui leur est propre. On retrouve avec joie le guitariste Bernard Falaise et Michel F. Côté aux percussions sur plusieurs morceaux. Mais il y a aussi le trompettiste Brian Lipson, Alexandre St-Onge à la basse, le percussioniste Stefan Schneider de Bell Orchestre, Radwan Moumneh et Sophie Trudeau de Godspeed au violon. C'est un des album que j'ai écouté le plus souvent l'année dernière en raison de son caractère accrocheur, pop mais expérimental. Alexis O'Hara nous offre une oeuvre trilingue, où s'alternent un poésie anglophone aux nuances hautement maîtrisé, une prose en français naïve et un espagnol approximatif. Mais cela n'enlève rien au charme, au contraire. Seulement, les pièces en anglais sont, à mon avis, les mieux réussies.

Il fallait voir Alexis à son lancement, celle-ci jouait la carte de la naïveté, de l'inexpérience, du cocasse et du loufoque. Le charme a opéré facilement sur le public présent à cette soirée. Son album est un peu tout ça mais plus contenu, sans son humour grinçant et auto-dérisoire, du moins il n'est pas mis autant de l'avant que sur scène.

Il y a beaucoup de bonnes pièces sur le disque et à partir de la moitié du disque celle-ci s'enchaînent à un rythme soutenu. Les moments forts restent la pièce "Butterfingers", avec son riff de bass rappelant vaguement le morceau de Mark Lanegan et Kurt Cobain "My Girl". "Balade gelée" est tout simplement superbe, la trompette de Lipson et la contrebasse de St-Onge sont jouées tout en douceur, le ton de voix d'O'Hara est sulfureux, velouté, digne d'un jazz lounge enfumé. Une des meilleures pièces de l'album qui vogue sur une contrebasse free et une trompette mélodique, une référence facile serait l'amalgame de chanson et de jazz improvisé qu'est "Comme à la radio" de Brigitte Fontaine. Le jeu rythmique de Michel F. Côté sur "Detached Love Song" est magique et tellement entraînant qu'il nous donne envie de le chanter. Comme je disais précédemment, ce disque regorge de perles.

Il est intéressant de noter comment Alexis O'Hara, dans sa démarche artistique, se joue de la sexualité. Elle est capable de se travestir en homme de façon convaincante, mais en même temps est capable d'assumer une féminité hautement sexualisée. Ceci se traduit dans les chansons de cet album; la plupart sinon toutes parlent d'amour, des relations hommes/femmes et d'une sexualité qui apparaît malgré tout comme incomplète. Un manque inhérent sous-tend la trame lyrique du disque. D'ailleurs, on peut se demander qu'elle est cette éllipse évoquée par le titre titre. Qu'est ce qu'elle cherche volontairement à omettre dans ce disque somme toute assez sexuel? Ce sont plus que trois points de suspension qui sont nécessaires pour masquer les préoccupations de l'inconscient féminin.

samedi 8 janvier 2011

Scott Tuma : "Dandelion" (Digitalis, 2010)


J'ai déjà fait mention de Scott Tuma dans ce blog. J'avais comparé son oeuvre avec celle de la trame sonore de "The Hired Hand" de Bruce Langhorne. La comparaison était un peu poussée, mais à l'écoute de son nouveau disque, elle n'est que plus flagrante.

Scott Tuma est originaire de Chicago et s'est fait connaître dans le groupe country/grunge Souled American au début des années 90. Il semble que ce groupe ait connu un certain succès mais j'ignore complètement les retombées de ce succès. Lorsque j'ai découvert Tuma, il n'était qu'un obscur musicien de plus à la longue liste des joyaux se fondant dans le marasme de la musique underground. Il a aussi fait parti du Boxhead Ensemble, un collectif d'impro à géométrie variable avec un membership allant de Jim O'Rourke à Fred Lonberg-Holm, en passant par Glenn Kotche...




Grâce au label Tumult, il est possible de se procurer les quatre premier albums de Souled American en cd soit "Fe" , "Flubber", "Around the Horn" et "Sonny". Depuis longtemps épuisés en vinyles, l'Oblique avait encore jusqu'à tout récemment une copie vinyle de "Around the Horn". Au travers de ces quatre albums, Souled American nous offrent des compositions originales mais revisitent également bon nombre de classiques country/folk.




Donc, le plus récent album de Scott Tuma se veut un suite à la quête humaine dans laquelle il s'est lancé au milieu des années 80. Se tenant comme un seul homme, debout devant l'adversité, au bord de ce gouffre intérieur dans lequel il se lance à chacune de ses créations. Il y a quelque chose de profondément intime dans les compositions de Tuma; une sorte de lyrisme fragile, se tenant en équilibre sur le fil tranchant d'une épée de Damoclès qui menace à chaque fois de s'affaisser sur la bas de sa nuque. Car il s'agit surement de ne pas perdre la tête, lorsqu'on se lance dans un épisode créatif où on tente de remédier et d'articuler cette mélancolie qui semble nous habiter sans jamais vouloir nous quitter. Sur "Dandelion", Scott Tuma est accompagné par le bassiste Jason Ajemian, le percussionniste Mike Weis de Zelionople (et avec qui il a le projet Good Stuff House) ainsi que James Barker. Les trois ont réussi une oeuvre magnifique, éthérique, où se mêlent banjo, guitare, violon, clochettes, fields recordings.... La pièce "Red Roses For Me" est particulièrement réussie, surtout lorsque se manifeste le spectre d'un saxophone distant se laissant aller dans une improvisation libre... Le jeu de percussions de Mike Weis est sublime, tout en résonances métalliques et soutien parfaitement le côté impalpable de l'oeuvre. À l'image d'un pissenlit à la fin de l'été, après avoir offert à l'oeil de l'homme ses vives couleurs jaunes et vertes, la fleur s'éteint et il n'en reste qu'un squelette. Frêle carcasse menaçant de s'envoler au moindre coup de vent.

Là où s'arrête la version vinyle de cet album, la version cd y inclut à mi-chemin une pièce intitulé "Intermissions", de plus de 20 minutes. Débutant par un long moment de silence pour venir marquer la fin de ce que devait être l'album dans sa totalité, celui-ci est brisé par ce qui semble être une émission de radio espagnole où s'enchaînent des moments de musique générique orchestrale accompagnées de choeurs, comme des annonces d'une vieille chaîne de télévision. La réception étant plus ou moins bonne, on oscille entre le son des ondes hertziennes et des grichements sonore pour laisser émerger des prières issues d'un monde lointain qui font penser au collage sonore "Ethika Fon Ethica" sur l'album "Clic" de de Franco Battiato mais en beaucoup plus linéaire.



Suite à cette "intermission", Tuma reprend le chemin de son oeuvre avec "Smallpipes 1 2 3". Ces Smallpipes sont en fait des enregistrements de groupe, soit avec Jason Ajemian, James Barker, Mike Weis, Johnny Kimber et James Provencher. Très belles pièces, que la version cd de "Dandelion" nous offre en guise d'avant goût d'un éventuel projet de groupe pour Scott Tuma. On se croise les doigts...