mercredi 28 mars 2012

Ed Yazijian: "Gansrud" (HP Cycle, 2011)


Ed Yazijian est un drôle de personnage. Professeur d'université, il vit dans l'ombre de l'underground musical, nourrissant par à-coups le courant de freak-folk qui a fait surface il y a 6-7 ans. À l'inverse de certains de ses contemporain, il n'a pas su profiter de la vague, ou n'a pas voulu en profiter. Certains artistes préfèrent les recoins sombres, loin de la scène du théâtre de l'Éros, celle qui nous pousse à faire des liens avec les autres. Ils préfèrent être seuls et se réfugier dans des mythes et des fantasmes de fuite dans une ethnicité romanesque. D'ailleurs, sur le site ratemyprofessors, on peut lire que Yazijian est désorganisé, ne respecte pas vraiment de plans de cours mais que son cours sur le Ramayana, un des texte fondateur de l'hindouisme, est très intéressant.

J'avais été bien impressionnée par son album "Six Ways to Avoid the Evil Eye", paru en 2006 que je m'étais procuré en cd-r via le label Feed & Seed records.Cet album a été réédité en vinyle par la suite et semble être toujours disponible. Sur ce disque, Yazijian délimitait son territoire; l'orient incarné dans un folk ethnique, apparemment improvisé, dans l'esprit des deux premiers Carnaval Folklore Resurrection des Sun City Girls ("Cameo Demons and their Manifestations" et "Dreamy Draw"). En 2009. il a ressurgit pour une apparition avec Dredd Foole, comparse de longue date, avec qui il a enregistré l'album "That Lonesome Road Between Hurt And Soul" sur Bo Weavil Recordings. Disque tout aussi intéressant dans la même veine mais qui m'a un peu moins convaincu , compte tenu des attentes élevées que j'entretenais vis-à-vis cette collaboration.

Pour "Gansrud", sorti sur le label canadien HP Cycle, les enregistrements se sont étalés sur plusieurs années,soit de 1996 à 2009. La guitare apparaît comme prédominante sur l'album, compte tenu de sa dimension mélodique. Mais le violon est tout aussi présent, sauf qu'il passe presque inaperçu- ou plutôt, on s'en rappelle moins (magnifique "Piece for four violins"). Il crée une césure dans l'écoute et vient marquer un arrêt temporel, sur mode tonal. Un jeu de violon qui n'est pas sans rappeler le minimalisme de Tony Conrad ou d'Henry Flynt. "Gansrud" nous emmène aussi plus loin, comme sur cette longue pièce d'explorations vocales et de "signal radio" (i.e. bruits vaguement électroniques indéterminés) qu'est l'incroyable "Salt Curse of the Onangada". On retrouve aussi des tablas et d'autres percussions sur certaines pièces, ainsi qu'un mélange d'instruments ethniques (ektara,sarinda), qui viennent enrichir le tout. Le paysage de ce village global est aride et de l'écoute on en retire un vague sentiment de solitude, de retrait social. Yazijian donne l'impression d'être bien seul dans son village, pleurant la disparition de ses amis sur deux titres ("For H. McK" et "For Borghild"). Son village n'est pas le plus invitant; une première écoute nous fait sentir comme un intrus que les démons ancestraux veulent chasser. Mais si on y entre avec révérence, en leur rendant hommage, ceux-ci finissent par nous accepter et nous guident dans les méandres de la transcendance onirique.

Disponible en vinyle seulement: mimaroglu

lundi 26 mars 2012

Orfanado: "Iter" (Holidays records, 2011)


Parce qu'il y a des disques qu'il ne faut passer sous silence. Des disques qui nous poussent à sortir de notre torpeur et qui viennent nous chercher aux tripes à chaque écoute. Depuis un bon moment déjà je contemple sa pochette et me répète que je dois absolument en parler pour partager mon engouement.

Orfanado est un duo italien composé d'Alessandro De Zan et Riccardo Mazza. Comme convenu dans le créneau de la musique expérimentale, ceux-ci ont très peu fait parler d'eux préalablement à la sortie de leur premier long-jeu. Et pour cause, il y a peu de chances qu'ils traversent de côté de l'atlantique, se confinant à sortir des disques en version limitées sur d'obscurs labels européens. D'ailleurs, "Iter" est sorti en cd sur Sounds of Cobra et en lp sur Holidays Records. Il va sans dire que je privilégie le dernier.

On les a comparé aux Sun City Girls et à Six Organs of Admittance mais la comparaison demeure grossière et approximative. J'ai plus l'impression qu'ils se rapprochent en esprit de la musique de Lula Côrtes et Zé Ramalho, en particulier sur l'excellent "Paebiru". "Paebiru" se voulait un disque concept explorant le mysticisme des lieux sacrés et des éléments mais "Iter" n'a pas cette prétention. Pourtant, on ne peut réprimer ce sentiment, tel que décrit par Freud qu'est cette inquiétante étrangeté (Unheimlich). Un sentiment qui se veut désacralisant, qui nous rend étranger à nous-mêmes. Quand on se plonge dans ce disque on y retrouve effectivement cette fascinante mixture de guitares acoustiques aux teintes orientales , de percussions effrénées, de flûtes et de synthétiseurs. Mais le tout a un goût hautement tropical, nous rappelant les denses forêts amazoniennes, où l'humidité est représentée par les multiples pédales d'effets qui étouffent parfois les instruments. Un peu comme ces journées d'été où un orage éclate alors que le soleil est à son zénith.



Orfanado poussent aussi la facture expérimentale un peu plus loin avec de magnifiques pièces abstraites de guimbarde et guitares acoustiques, des sitars soutenues par des percussions lourdes de sens, des mélodies entraînantes et des chants pentecôtistes. On retiendra également que ce sont d'excellents guitaristes. Un disque magique, époustouflant, lumineux et oppressant tout à la fois.



Téléchargez leur e.p. "Sete", sorti en 2009, gratuitement sur Bandcamp.

http://orfanado.bandcamp.com/album/sete