mercredi 9 mai 2012

André Vida: "BRUD Vol I-III" (Pan Records, 2011)

Il y a d'abord cette sublime pochette; magnifiques images de costumes traditionnels obscurs, insérée dans une enveloppe en pvc sérigraphiée. Sobre, intrigante. S'agit-il plus de masques ou de costumes? Toujours est-il que l'esthétique invite à inférer qu'André Vida cherche à se dissimuler. Mais le costume diffère du simple masque, il est plus flamboyant et démontre un souci d'identification complète à l'être qu'on souhaite incarner. Qu'importe le cérémonial que Vida traduit sur cette scène, il ne se laissera pas saisir.
André Vida est un saxophoniste méconnu que le remarquable label PAN nous fait découvrir au travers d'un mélange de compositions étalées entre 1995 et 2011 et réparties sur trois disques. Trois disques inégaux entre eux mais qui servent d'introduction à l'oeuvre d'un des musiciens les plus intéressant de sa génération. Celui-ci s'est fait connaître par ses collaborations au groupe Tower Recordings au début des années 2000, genre de super groupe de la scène underground new-yorkaise, précurseur du genre freak-folk. Ce groupe regroupait entre autres Matt Valentine, Samara Lubelski, P.G. Six, Tim Barnes et d'autres... Mais c'est probablement grâce à son association avec le légendaire saxophoniste Anthony Braxton que Vida a pu se tailler une place de choix dans le monde du jazz expérimental, membre régulier de son Ghost Trance Ensemble. De Braxton, Vida partage un goût des lignes mélodiques claires et des compositions "intellectuelles", difficiles, demandant une certaine réflexion de la part du musicien. Depuis, il s'affirme de plus en plus en tant que compositeur et trempe allègrement dans la performance à la John Cage, semblant se nourrir des restes chaud du Fluxus. Un artiste majeur donc, qui tardait à faire paraître un album de ses compositions. La dernière fois où j'ai été frappé par la singularité de la "voix" d'un musicien, fut en écoutant le disque "Mes Soldats Stupides 96-04" de C. Spencer Yeh, alias Burning Star Core. J'ai parfois l'impression que ma recherche musicale n'a pour but que cette découverte; me sentir interpellé par quelque chose de nouveau, de singulier, une voix qui raconte une histoire différente, qui crée. Manquer de mots pour analyser et qualifier sur le champ l'écoute, nécessiter un après-coup. Entre l'étrange, le familier et le ridicule. Où André Vida et C. Spencer Yeh se rejoignent dans leurs parcours, est dans cet embranchement du dépassement des limites de l'instrument, cet endroit où on commence à sortir des sentiers battus pour tailler sa propre route. Lourd mandat donc pour André Vida et un album plus concis aurait été encore plus frappant. Car au fil des trois disques, le jugement de préférence devient inévitable. Pour ma part, PAN auraient pu s'en tenir au premier disque et ils auraient réussi leur pari. Celui-ci est un amalgame de courtes pièces enregistrées ça et là entre 2002 et 2011. Sur ces dix-huit titres, Vida s'époumone, chante, marque des scansions dans sa lignes mélodiques pour laisser une place à des mots et fait vibrer son hanche en un grondement désharmonisé. S'il n'exploite pas la respiration circulaire comme l'a fait Colin Stetson, on retrouve quand même une similarité dans le désir de dépasser les simples limites d'un saxophone. Mais Vida est beaucoup plus cru, "raw". On retrouve donc Vida en solo, en duo avec Anthony Braxton, dans des petits ensemble, il disparaît même derrière son oeuvre lors de la pièce "Tie Me Up" pour un ensemble de cordes. On le retrouve également derrière un synthétiseur modulaire SERGE, pour quelques morceaux qui sont tout aussi curieux. Mais je tiens à souligner le magnifique duo avec Rashad Becker, qui joue du "feedback cabinet". "BRUD Volume II" est aussi une collection de pièces recoupant probablement l'ensemble de la carrière de Vida soir de 1995 à 2011, à l'exception près qu'il s'agit de pièces jouées en groupe dans des contextes et ensembles très différents. On retrouve d'ailleurs Matt Valentine et Tim Barnes sur "Broken Tape" (1999), le morceau qui ouvre le disque. Le "Volume III" est celui que j'ai trouvé le moins intéressant; il s'agit d'une suite composée pour un quatuor jazz. La facture et l'idiome sont très reconnaissables mais ne se distinguent pas particulièrement d'autres oeuvres, du moins pas de manière frappante. On retrouve un espèce de jazz de chambre bien réussi, pas désagréable mais manquant un peu d'aspérités . La présence de l'accordéon est toutefois intéressante. C'est donc dans un cadre plus intime que Vida impressionne et en suivant cette logique, les morceaux solos sont les plus percutants.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire